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[Fsfe-france] Intervention à la DDM


From: Christophe Espern
Subject: [Fsfe-france] Intervention à la DDM
Date: Tue, 20 Jan 2004 00:18:02 +0100
User-agent: Mozilla/5.0 (Windows; U; Win98; en-US; rv:1.0.0) Gecko/20020530

Bonjour,

J'ai fait une intervention ce jour à la direction du développement des
médias (DDM) dans le cadre des réunions sur les mesures techniques. Vous
trouverez le programme de la réunion sur le site de la DDM :

http://www.ddm.gouv.fr/pdf/prog_reu_190104.pdf

Mon nom n'est pas indiqué dans le doc mais cela devrait changer. Nous avons été prévenu tard et j'ai confirmé encore plus tard.

Voici ci-dessous le texte que j'avais rédigé et qui m'a servi de fil
guide. Lors de mon intervention, j'ai un peu adapté le contenu en
fonction des interventions précédentes -axées principalement sur
l'audiovisuel- et où les initiatives de la Chine liées à Linux ont été
évoqués. J'ai évoqué aussi les brevets logiciels, la protection par le
secret qui est encore pire que celle par le brevet et le procès de Real
à Microsoft.

Pour ceux que la dernière partie choquerait -on pourrait croire que je
dit que l'EUCD n'est pas un problème puisque le juge ne l'appliquera
pas- je tiens à dire que le gouvernement semble de toute façon décidé à
protéger légalement les mesures techniques de protection (MTP). Comme
ils disent tous "il y a un problème mais il faut transposer".

Donc autant leur mettre le nez dans leurs propres paradoxes (la licence
légale qui devait soit disant tout résoudre) et expliquer aux
ayant-droits que la protection légale des MTP ne changera rien.

Désormais, le lobbying doit se faire, amha, sur les parlementaires (en
premier lieu sur les membres de la commission NTIC) et plus dans les ministères.

Autrement, je remercie Wikipédia pour l'idée du Ying et du Yang de
l'interopérabilité :)

**

Tout d'abord, je tiens à remercier Phillipe Chantepie et Jean Perbineau
pour m'avoir invité à m'exprimer devant vous sur cet épineux problème
que pose les mesures techniques de protection en matière
d'interopérabilité - notamment pour les auteurs de logiciels libres mais
pas seulement.

Pour commencer, je souhaiterais rappeller ce qu'est l'interopérabilité.
L'interopérabilité est la capacité qu'ont deux système de communication
a communiquer de façon non ambiguë que ces systèmes soient similaires ou
différents.

On peut appréhender les différentes possibilités  pour parvenir à cette
interopérabilité au travers du ying et le yang. Le ying c'est la
spécification ouverte, la norme aux spécifications publiques, librement
implémentable par tous, non soumises à royalties (HTTP, HTML, IP, etc
..). Le yang, c'est la spécification fermée seulement connue de
l'éditeur de logiciel qui s'en sert souvent pour bloquer la concurrence.
C'est le côté obscur si j'ose dire.

Entre les deux, ce que les industriels appellent « des standards » et
qui sont en fait des spécifications ouvertes aux membres d'un consortium
moyennant ticket d'entrée et utilisables uniquement sous certaines
conditions.

Dans le cas d'une norme ouverte de type ying, aucun problème pour
garantir l'interopérabilité. Un éditeur utilise une norme ouverte et son
concurrent n'a qu'a se baser sur les spécifications publiques pour
interopérer. Dans le cadre du yang, il est possible de faire en sorte
qu'un système communique avec un autre au travers de l'ingénierie
inverse. L'ingénierie inverse consiste par exemple à étudier un fichier
pour en déduire son format . C'est une activité tout à fait légale tant
qu'elle a pour but de permettre l'interopérabilité.

Le cas DECSS est une illustration puisque Jon Johansen, l'auteur de ce
logiciel libre qui contournait une mesure technique de protection de
DVD, n'a jamais été condamné malgrès l'acharnement de la MPAA, le
puissant syndicat des producteurs de films hollywoodiens.

Je tiens de plus à préciser avant de répondre à la question qui nous a
été posée - à savoir les outils développés par la communauté du libre
sont-ils oui ou on une solution à l'interopérabilité - que le collectif
EUCD.INFO est contre l'idée même de mesure technique de protection -ou
plus précisément contre l'idée de contrôle d'usage- pour des raisons à
la fois éthiques et juridiques. Si le contrôle d'accès type Canal + ne
nous pose pas de problème, il n'en est pas de même pour le contrôle d'usage.

Nous estimons en effet qu'il n'est pas acceptable que la technique se
substitue à la loi, c'est à dire qu'un logiciel puisse décider en lieu
et place du juge de ce qui est licite et de ce qui ne l'est pas.

- primo, parce qu'aucun logiciel n'est capable d'interpréter la loi et
donc encore moins de la faire appliquer. Les débats sur ce qu'est ou
n'est pas la copie privée en sont une illustration ;
- secundo, ce serait remettre entre les mains du titulaire de droit et
de l'éditeur du logiciel, un pouvoir excessif : celui de contrôler
l'usage que peut faire le public d'une oeuvre dans la sphère privée. Ce
serait aussi enlever le contrôle de son ordinateur à un utilisateur.

Ceci étant précisé, l'équipe d'EUCD.INFO, principalement par souci
d'honnêteté, à essayer de voir si il était possible de développer une
solution de type DRM qui serait diffuser sous une licence libre.

La question que nous sommes posé est la suivante : un DRM distribué sous
licence libre pourrait t-il prétendre être efficace puisque les mesures
techniques de protection ne peuvent qu'avoir que cette prétention car si
elle étaient réellement efficaces, il n'y aurait pas besoin de les
protéger légalement. Ce qui a d'ailleurs fait dire ironiquement à Michel
Vivant, grand professeur de droit et spécialiste du droit d'auteur, que
« la technique doit venir protéger le droit et on me dit le droit doit
venir protéger la protection technique ». Ce qui est, il est vrai, assez
paradoxal ...

Toujours est-il que nous avons donc déjà chercher sur le web si il
existait des DRM libres pour éviter de réinventer la roue. Et nous avons
trouvé un logiciel appellé Media-S qui est disponible sous licence
propriétaire mais aussi sous licence libre.

Media-S est un logiciel utilisable dans le cadre d'un service de musique
en ligne. Il permet d'une part au prestataire de service de chiffrer une
oeuvre, d'autre par à l'utilisateur d'obtenir une clé pour déchiffrer
cette oeuvre une fois qu'il a payé. Media-S n'implémente pas le contrôle
d'usage laissant ce soin aux développeurs du lecteur multimédia.

Media-S s'appuie sur des standards ouverts ce qui est déjà un premier
bon point pour garantir l'interopérabilité. Il utilise https, - version
sécurisé du protocole HTTP - pour communiquer et ogg-vorbis -format de
fichier comparable à MP3 mais au spécifications publiques- pour
compresser l'oeuvre.

Media-S utilise des algorithmes de cryptage publics pour protéger
l'oeuvre (ce qui ne change rien à la solidité du chifrement). Et Media-S
utilise le format XML pour stocker les informations de licence. Ces
informations peuvent décrire le nombre de copies autorisés ou bien
encore le type de périphériques autorisés pour le transfert.

Il semble donc bien évidemment plus facile d'interopérer avec un DRM
comme Media-S puisqu' on connaît les spécifications techniques utilisés
pour encoder l'oeuvre et décrire les droits de l'utilisateurs.

Je rappelle en effet que pour garantir l'interopérabilité entre deux
DRM, il faut deux choses :

- un accès à l'oeuvre en clair pour la représenter
- un accès aux informations de licence pour autoriser ou interdire
certains actes en fonction des désiderata du titulaire de droit.
-
Dans le cas de Media-S, inutile d'aller quémander des informations
essentielles à l'interopérabilité auprès des auteurs de Media-S pour
représenter l'oeuvre et appliquer la licence. Il suffit d'avoir accès aux
clés distribués par le module serveur pour déchiffrer l'oeuvre.

Cependant, Media-S peut-il prétendre être efficace quand il est
distribué sous une licence libre puisque comme je l'ai dit Media-S est
disponible soit sous licence libre soit sous licence propriétaire?

Je rappellerais déjà  ce qu'est une licence libre. Une licence peut être
qualifiée de « libre » quand elle permet à tout utilisateur d'utiliser,
d'étudier, de modifier et de redistribuer le logiciel  avec ou sans
modifications. Une licence libre ne peut pas restreindre l'utilisation
qui est faite du logiciel pas plus qu'elle ne peut exclure tel ou tel
type d'utilisateur. Une licence libre n'est donc jamais discriminatoire
et elle permet donc une concurrence pure et parfaite.

Tous les acteurs économiques ayant les mêmes armes en mains, la
différence se fait sur le service. Je tiens également à souligner que «
liberté » n'est pas « gratuité » et qu'il est possible de faire de
l'argent avec des logiciels libres. Le fait que des sociétés comme IBM,
Novell ou France Télécom participe à d'importants projets libres en est
une preuve. Le fait que Microsoft redistribue des logiciels libres pour
garantir l'interopérabilité à ses utilisateurs en est une autre.

Pour revenir à Media-S, j'ai donc personnellement installé ce logiciel
sur mon ordinateur et ait étudié son code source puisque bien entendu
l'accès au code source est un corollaire au fait de pouvoir modifier le
logiciel et donc aux licences libres. Assez rapidement, je me suis rendu
compte que le fait que Media-S soit proposé sous dual-licence était
symptomatique de la problématique.

En effet, j'ai dit précédemment qu'il fallait pour interopérer avec un
DRM avoir, d'une part accès à l'oeuvre en clair, d'autre part avoir accès
aux informations de licence.

Si une mesure technique de protection est distribué sous licence libre,
un utilisateur pourra facilement disposer de tels accès puisqu'ayant
accès au code source. Et il pourra donc facilement ne pas respecter la
licence que ce soit à des fins légitimes ou non.

D'ailleurs, les auteurs de Media-S précise bien qu'il faut utiliser la
licence propriétaire pour que Media-s puisse prétendre être efficace et
qu'il faut donc les rémunérer.

Ceci illustre bien que :

- une mesure technique ne peut pas être distribué sous licence libre ou
plus exactement la communauté du logiciel libre ne peut pas prétendre
développer des mesures techniques prétendues efficaces de par la nature
même des licences utilisées.
- La protection légale des mesures techniques de protection va créer des
péages incontournables sur les technologies d'accès à la culture et à
l'information notamment eu égard à la structure du marché de l'édition
logicielle où un éditeur détient plus de 90% du marché des OS grand
public -Microsoft pour ne pas le citer- et en profite pour pousser ses
mesures techniques de protection via son lecteur multimédia.

Cela veut t-il dire que les logiciels libres ne sont pas une solution à
l'interopérabilité ?

Non.

Primo, si j'en crois le projet de loi actuel, il sera -peut-être-
possible de développer un lecteur multimédia distribué sous licence
libre mais qui utilisera une mesure techniques de protection distribué
sous licence propriétaire à partir du moment où ce logiciel libre
respecte -par défaut- les informations de licence. Le projet de loi
français précise en effet que les éditeurs de mesures techniques se
doivent de proposer leurs outils sous des licences non discriminatoires.

Et si il n'est pas possible de développer un logiciel libre accédant à
une mesure technique distribué sous licence propriétaire, c'est que les
licences utilisées par les mesures techniques de protection sont par
essence discriminatoires privilégiant un modèle économique à un autre et
rendant responsable le développeur original des actes de l'utilisateur.

Ce qui m'amène au secundo, les auteurs de logiciels libres pourront
toujours -quoiqu'il arrive - proposer des outils permettant
l'interopérabilité comme ils l'ont toujours fait en contournant une
mesure technique à des fins d'interopérabilité. Ils passeront alors
devant un juge et ce dernier reconnaîtra sans doute qu'ils ont le droit
de faire cela à partir du moment où leur outil n'est pas spécifiquement
conçu pour commettre un délit.

Ainsi un récent jugement en Italie relatif à l'EUCD a montré que les
mesure techniques de protection ne pouvaient pas être utilisé pour aller
à l'encontre des droits de l'utilisateur puisque Sony s'est vu débouté
de sa demande d'interdire les modchips sur les Playstation. (un modchip
étant une puce qui permet de lire des jeux stockés sur des supports
zonés), le juge ayant estimé que un consommateur était tout à fait en
droit de contourner une mesure technique dès que cette dernière est
utilisé à des fins d'abus de position dominante et que de plus, quand le
consommateur achète une console et un jeu, il est libre d'en faire ce
qu'il veut tant qu'il ne redistribue pas le jeu. Tout comme lorsqu'il
achète un CD ou un DVD, il peut faire ce qu'il veut du support et du
contenur tant qu'il ne redistribue pas le contenu.

Pour conclure, je dirais que

-l'interopérabilité n'est pas donc un problème technique mais un
problème légal donc politique et que sa préservation est nécessaire à la
libre concurrence;
-que les industriels de l'électronique grand public -comme Phillips- ne
sont visiblement pas tous prêts à payer des royalties à Microsoft ce qui
va créer une guerre des "standards" qui ralentira l'adoption des
nouveaux périphériques et fera que les consommateurs continueront de
télécharger des contenus sur le P2P sans pour autant renouveler leur parc;
-et que les mesures techniques de protection ne résolvent rien malgrès
leur coût puisqu'elle sont systématiquement contournées et bien souvent
à des fins légitimes.






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